On a tous besoin de potes. C’est scientifiquement démontré : être entouré d’un groupe d’hommes amicaux permet à un homme d’être moins stressé, plus sûr de lui et de vivre plus longtemps. Mais gérer ses relations amicales fait partie des trucs qui deviennent plus compliqués avec des enfants. Pas le temps. Pas l’énergie. Pas le bon état d’esprit.
Dis-toi que ce n’est pas facile non plus pour les non-parents qui voient leurs compagnons de soirées tomber un par un au champ d’honneur de la paternité. Pour se mettre un peu dans leur basket, on a demandé à Octave, festif chroniqueur du célibat, d’écrire une lettre à un ami père « imaginaire ». Attention, ça peut égratigner.
Lettre à mon pote le paternel
Tu es arrivé le pas lourd et la démarche lasse, comme il y a 3 ans, après la soirée d’Amandine. Tu étais en retard, comme après la soirée d’Amandine, et tu sentais légèrement le vomi, toujours comme après la soirée d’Amandine. « Tu sors d’où mec ? ». Il y avait dans ton regard une sorte de culpabilité, pire, une forme d’abdication, d’abandon, ces mêmes yeux de chiens battus que j’avais décelés il y a 3 ans. La belle époque où l’on jouait le soir et où l’on perdait le matin. Mais rien n’était grave puisqu’il n’y avait pas d’enjeu l’après-midi.
J’étais heureux de te voir.
J’étais heureux de te voir comme avant, avant que tu la rencontres, avant la soirée d’Amandine, quand tu me jurais que la liberté était le plus beau des étendards, la tienne le plus beau de tes trophées. Je t’ai trouvé beau avec ta barbe de quatre jours. J’avais envie de te serrer dans mes bras. « Ça me fait plaisir de te voir en forme, ça fait longtemps ». Tu as eu l’air étonné, par le mot « plaisir » ou « longtemps », les deux peut-être, je n’ai pas su le déceler. Tu t’es excusé pour le retard et tu m’as dit « très bien » lorsque je t’ai demandé comment ça allait. Tu mentais, comme après la soirée d’Amandine, lorsque je t’ai demandé si tu allais la revoir et que tu m’avais dit « non, c’était juste pour rigoler ». J’ai repris une pinte, tu as voulu un coca, je t’ai engueulé, tu as commandé un demi, je t’ai dit « fais pas chier ».
Tu as commandé une pinte, la plus légère.
On a trinqué à lui, évidement. J’avais une question qui me démangeait. « Est-ce que c’est vrai que lorsque tu vois ton enfant pour la première fois, cela remet en cause complètement la façon dont tu considérais la vie ? ». Tu as plissé les yeux, tu as réfléchi, longtemps, très longtemps comme si j’étais le prof de bio de 4ème et que tu espérais que se déclenche l’alarme incendie. Le suspense devenait insoutenable, j’étais pendu à tes cernes, puis tu m’as répondu, dans un souffle : « pas vraiment, pas instantanément ». Mais tu as poursuivi, en regardant autour de toi, au cas où : « mais c’est génial ».
Je t’ai cru.
Tu m’as raconté un peu ta nouvelle vie, mais pas comme dans les dîner de couple, ou les filles surveillent, ou l’on doit tout expliquer avec cet enthousiasme insupportable que l’on a tous lorsqu’on apprend un mariage ou une naissance. Cette fois-ci, tu n’as pas censuré les difficultés, dans ton couple, au boulot. Le rythme de vie épuisant avec un nouveau-né. Tu as essayé de me décrire des moments « forts, tu vois, difficiles à expliquer. Un rire. Une manière de serrer ta main ». Tu as dû te prendre la fumée de ma cigarette dans les yeux, parce qu’ils étaient un peu rouges. Puis tu m’as posé des questions sur moi, sur ma dernière soirée, ma dernière copine, sur tous ces potes que tu n’as plus le temps de voir. Tu as dis que ce te manquait tout ça, un peu fataliste mais sans exagérer. Tu m’as demandé pourquoi je n’étais pas venu au premier anniversaire de Théo dimanche dernier, j’ai répondu, sans ironie, « que j’étais trop désolé et que j’espérais qu’il ne m’en voudrait pas longtemps, que pour me faire pardonner j’étais prêt à aller à celui de son père, enfin si il organisait quelque chose ».
Tu n’as pas rigolé.
Tu m’as montré plein de photos de ton enfant. Une aurait suffit, mais je n’ai rien dit. En échange, je t’ai montré le dernier Nude que j’ai reçu. Cette fois-ci, j’ai osé te dire qu’une seule suffisait. C’est alors que tu as voulu parler de sexe, puis finalement non. On a fini par parler de notre ligue MPG. Puis de la série que tu mates en ce moment sur Netflix. Pour éviter que ça ne finisse par ressembler à un dîner avec mon père, je t’ai dit que j’étais fier de toi, que c’était beau de construire quelque chose. Tu as failli me répondre un truc. Et puis tu n’as rien dit. Tu as fini par demander l’addition à la même l’heure où, il y a un peu plus d’un an, tu commandais des shots. J’ai insisté pour que tu restes comme à l’époque où j’insistais pour que l’on parte.
« C’est 7h au plus tard tous les matins tu sais »
Tu m’as dit, avant de me quitter, que cela te manquait de ne plus trop nous voir, ce genre de moment. Je t’ai répondu que ce qui me manquait, moi, c’était de ne plus se fabriquer de souvenir commun. « C’est pareil, non ? ». Tu n’as pas saisi la nuance, déconcentré par le message d’Amandine qui te demandait sûrement ce que tu foutais encore dehors à cette heure. J’ai tenté une dernière fois ma chance en te proposant un week-end prolongé, juste entre potes, trois nuits, sans femmes ni enfants. Tu t’es enthousiasmé, avant de réfléchir.
« 2 nuits, ça peut éventuellement le faire »
Alors c’est peut-être ça, finalement, devenir papa : être dans la mesure et le compromis pour ne pas heurter, ni blesser tous ceux qu’on aime. Et ils sont nombreux. Je t’en ai voulu un peu, mais en silence, de ne plus être le favori. Les journées sont devenus trop longues pour se reposer et les nuits trop courtes pour les copains. Je t’ai serré fort dans mes bras en te jurant de venir au prochain goûter. Tu es parti, le pas encore lourd et la démarche encore lasse.
Tu ne t’es pas retourné, mais tu sifflotais.
Par Octave, rédacteur invité Octave est un garçon de sa génération qui a peur de beaucoup de choses, surtout du conformisme, des méduses et des filles. Il chronique avec passion des histoires qui sont les tiennes. Sans se prendre (trop) au sérieux.
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Crédit photo : Louie Castro-Garcia