Si on incitait les entreprises à envoyer les hommes en congé parental ? Tribune pour un « critère 4 bis »

Depuis la publication en octobre 2018 de notre tribune pour un congé parental alterné, nous avons reçu plus de 400 signatures, beaucoup de messages de soutien, et d’intéressantes remarques. Nous avons fait de belles rencontres aussi, de parents, d’associations, de militant.e.s, et de personnes « aux responsabilités ».

Ces échanges nous ont encouragé à imaginer 2 mesures très concrètes pour faire évoluer les congés liés à l’accueil d’un enfant en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes, au travail et dans le foyer. Voici la première (sauter les 5 minutes d’argumentaire pour lire directement la proposition).

L’index de l’égalité salariale Femmes-Hommes

Cet index a vu le jour au mois de mars 2019, en application de la loi Avenir professionnel votée en septembre 2018. C’est une note sur 100 que chaque entreprise française est obligée de calculer et de publier, et qui mesure l’état de l’égalité salariale entre ses collaboratrices et ses collaborateurs. D’abord réservé aux entreprises de plus de 1000 salarié.e.s, l’index concerne aussi les entreprises de 250 à 1000 salarié.e.s depuis le 1er septembre 2019. Il sera étendu en mars 2020 à toutes les entreprises de plus de 50 salarié.e.s.

Les entreprises obtenant une note inférieure à 75 sur 100 auront 3 ans pour améliorer leur score, sous peine, au terme de ces 3 ans, d’une pénalité financière pouvant atteindre 1 % de leur masse salariale (l’ensemble des salaires versés par l’entreprise sur une année).

Par l’obligation de communiquer publiquement leur index, et par le risque de pénalité, les entreprises sont désormais directement intéressées au progrès réel de l’égalité salariale entre leurs salarié.e.s. On ne peut que s’en réjouir. Mais intéressons-nous au détail des critères de notation.

Les critères de l’index

Le calcul de l’index d’égalité salariale femmes-hommes se base sur 5 critères :

  1. l’égalité de rémunération femmes-hommes à poste et âge comparable /40 points
  2. la parité femmes-hommes parmi les salarié.e.s augmenté.e.s /20 points
  3. la parité femmes-hommes parmi les salarié.e.s promu.e.s /15 points (uniquement pour les entreprises de plus de 250 salarié.e.s)
  4. l’augmentation systématique des femmes en retour de congé maternité /15 points
  5. la parité femmes-hommes parmi les 10 plus hautes rémunérations /10 points

Parmi ces critères, 3 ne faisaient jusque-là l’objet d’aucune loi. Ils obligent maintenant les entreprises à réfléchir aux égales opportunités d’évolution des femmes et des hommes dans leurs rangs. Ce sont les critères 2, 3 et 5 de parité femmes-hommes parmi les salarié.e.s augmenté.e.s et promu.e.s, et parmi les 10 plus hautes rémunération de l’entreprise.

Le critère 1 (égale rémunération des femmes et des hommes à poste et âge comparable) fait déjà l’objet d’une obligation légale depuis 47 ans (loi signée en 1972 par George Pompidou et Edgar Faure). Mais la délicate définition de « poste et âge comparable » rend cette loi plus directement applicable au niveau collectif (grille de salaires non discriminante, par exemple) qu’au niveau individuel. Difficile en effet pour une femme de savoir, de prouver, et de faire valoir qu’elle est moins payée qu’un homme à poste égal.

En résumé : les critères 2, 3 et 5 introduisent une nouveauté juridique favorable à l’égalité salariale femmes-hommes dans les entreprises. Le critère 1 donne plus de poids à une obligation légale applicable au niveau collectif. Mais quid du critère 4, qui touche spécifiquement aux inégalités individuelles induites par la maternité ?

Un critère 4 pas assez ambitieux ?

Le critère 4 (augmentation systématique des femmes en retour de congé maternité) fait aussi déjà l’objet d’une obligation légale, depuis 13 ans. Pour tenter d’atténuer le décrochage de progression salariale corrélé avec la maternité, La loi n°2006-340 du 23 mars 2006 impose que les femmes en retour de congé maternité bénéficient d’une augmentation égale à la moyenne des augmentations reçues par leurs collègues relevant de la même catégorie professionnelle.

On apprend avec la première fournée d’index publiés qu’un tiers des entreprises de plus de 1000 salarié.e.s avaient raté le mémo (et 20% des entreprises de 250 à 1000 salarié.e.s). Mais, à la différence de la loi de 1972 sur l’égale rémunération des femmes et des hommes à poste et âge comparable, la bonne application individuelle de cette loi de 2006 est facile à contrôler. Ce contrôle pourrait même être largement automatisé.

La Déclaration Sociale Nominative, obligatoire depuis 2017, fournit en effet à l’administration tous les éléments pour nourrir un algorithme simple. La fonction de ce petit robot sensible aux droits des femmes : identifier les retours de congé maternité, mesurer l’augmentation moyenne dans l’entreprise, et vérifier qu’elle est appliquée. Doute ? Envoi d’un message d’information à l’employeur. Doute persistant ? Notification à l’Inspection du Travail pour contrôle et application d’une amende en cas d’irrégularité constatée. Ce genre d’amende existe déjà pour un employeur proposant un salaire inférieur au minimum prévu par sa convention collective (750 euros d’amende par salarié.e.s concerné.e.s, même si personne n’a rien demandé).

Ainsi, on réglerait plus rapidement la question de l’application de la loi de 2006. Mais est-ce qu’on règlerait les inégalités salariales induites par la maternité ? On peut en douter :

  • Déjà, mathématiquement, une augmentation « dans la moyenne » induit tout de même un décrochage par rapport aux profils les plus augmentés.
  • Ensuite, cette mesure de discrimination positive ne fait pas évoluer la perception de la parentalité en entreprise. Pire : elle peut aggraver le biais de « risque maternité ». Et l’on peut malheureusement imaginer de nombreux entretiens individuels qui se dérouleraient à peu près comme ceci l’année d’après : « tout le monde est très content de ton travail Gisèle, mais comme tu as été augmentée pour rien l’année dernière, cette année tu as le minimum, ok ? »
  • Enfin, comme nous l’écrivions dans la tribune pour un congé parental alterné, pour que les initiatives dans l’entreprise en faveur des femmes soient réellement efficaces, il faut parallèlement créer les conditions d’une réelle implication des hommes dans leur famille.

Un critère 4 bis pour équilibrer le « risque parentalité »

On le sait par l’expérience de ceux qui l’ont vécu, par l’analyse des entreprises qui l’ont adopté, par l’exemple des pays qui l’ont mis en place : un congé prolongé des pères à l’arrivée de leur enfant favorise (1.) un partage des tâches équilibré dans les foyers, et (2.) une dédramatisation des absences prolongées dans les entreprises. Soit 2 conditions nécessaires, et peut-être suffisantes, pour libérer la progression professionnelle des femmes, avant et après leur(s)  éventuel(s) congé(s) maternité.

Avant même de parler de prolonger le congé paternité (même si nous y viendrons avec la 2ème proposition en préparation), rappelons-nous que les salariés français ont déjà le droit de demander jusqu’à 6 mois de congé parental d’éducation. S’il n’est aujourd’hui pris que par 4% des hommes éligibles, c’est en grande partie parce qu’il est peu indemnisé (396 euros par mois), mais c’est aussi parce qu’il est mal connu (« ah, il est possible de prendre seulement 5 semaines de congé parental ?« ) et rarement encouragé chez les hommes.

Plusieurs témoignages d’hommes qui ont effectivement pris un congé parental nous confirment d’ailleurs que c’est le soutien de leur employeur (en plus de l’argent mis de côté) qui leur a permis de sauter le pas.

Puisque la raison d’être de l’index de l’égalité salariale femmes-hommes est de rendre les entreprises responsables de l’aboutissement d’une égalité réelle entre les femmes et les hommes, nous proposons d’ajouter à sa méthode de calcul un critère 4 bis, pondérant les 15 points du critère 4 (obtenus en n’oubliant d’augmenter aucune femme en retour de congé maternité) selon le pourcentage d’hommes salariés éligibles ayant pris un congé continu d’1 mois au plus dans les 6 mois qui ont suivi la naissance de leur enfant. (100% : 15 points. 50% : 8 points. 4% : 1 point.)

Charge à l’entreprise de définir sa méthode. En offrant un congé paternité rémunéré prolongé à 4 semaines ou plus ? En sensibilisant ses salariés aux bénéfices personnels et collectifs d’un congé parental ? En offrant une flexibilité dans l’épargne de congés payés ?

Avec un tel objectif, il ne s’agira plus seulement pour l’employeur de régler le « problème du congé maternité ». Il s’agira d’ajuster le regard de toute l’entreprise sur la parentalité, des femmes et des hommes. Ça tombe bien : c’est ce que veulent les jeunes.

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Signataires : Patrice Bonfy, co-fondateur du Paternel – Tristan Champion, auteur du blog Barbe à Papa – Claire Tran, actrice et membre fondatrice de Parents & Féministes – Alix Bayle du PA.F, collectif pour une PArentalité Féministe – Fabienne, formatrice SST – Roxane Rick, jeune maman et salariée – Fred Gerber, cadre.