#PèreNoël : 4 bénéfices et 2 inconvénients de mentir à tes enfants

Au fait (de fin d’année), est-on certain qu’il est sain de perpétuer cette étrange tradition consistant à faire croire à tout enfant de moins de 7 ans qu’un vieil homme fait le tour du monde pour distribuer aux enfants des cadeaux que l’on peut acheter dans le magasin d’à côté ? Cela demande des efforts de concentration (« On achète quoi à ta mère pour Nooeuh..elle a demandé quoi au Père Noël ? »), alors il serait dommage d’apprendre, trop tard forcément, que cela traumatise les enfants.

Les détracteurs du Père Noël

On ne peut pas être célèbre comme le Père Noël et plaire à tout le monde. Pour ses plus fervents critiques, le mythe du Père Noël ne sert qu’à cultiver la crédulité des enfants, à endommager leur confiance et à flatter une gérontocratie surannée.

Pour Maria Montessori : On trahit la confiance des enfants crédules

Maria Montessori, qui ne dit pas que des conneries*, a de manière générale des réticences vis-à-vis de l’introduction d’éléments fantastiques dans l’éducation. Le Père Noël la dérange particulièrement :

Ce soit-disant véhicule de l’imaginaire des enfants ne serait qu’un dogme limitant au contraire leur champ d’imagination.

« Nous seuls imaginons et non eux, ils croient, ils n’imaginent pas. »

Sa seule utilité serait d’élever des masses manipulables.

« Est-ce la crédulité que nous voulons développer chez nos enfants ? »

Et l’argument de la joie des fêtes est balayé par un contre argument assez solide en terme de culpabilisation : Si le Père Noël te fait autant marrer, c’est que tu prends plaisir à te foutre de la gueule de tes enfants. Bim.

« C’est nous qui nous divertissons de la fête de Noël et de la crédulité de l’enfant. »

En plus, quand les parents auront fini de se bidonner en s’enfilant le verre de cognac laissé « pour le Père Noël », ce sont les enfants eux-même qui prendront le relais. Il y aura toujours un petit malin ou une petite maline dans la cour de récréation pour prendre plaisir à piétiner l’innocence encore préservée de ses camarades, et moquer leurs vaines tentatives de sauver leur icône. (« Mais siiii mon papa me l’a diiiiiit »).

*Un grand nombre des principes pédagogiques créés par Maria Montessori sont appréciés et appliqués par l’auteur de cet article. D’ailleurs, tu peux trouver sur Le Paternel un article sur les divers produits et services dérivés de la philosophie Montessori.

Pour le Docteur Le Porrier : On cultive des névroses collectives malsaines

La psychanalyste et pédiatre Françoise Dolto, célèbre pour sa vision d’une éducation basée sur l’écoute et le respect des enfants, était tellement pro-Père Noël qu’elle a elle-même rédigé à deux reprises la réponse envoyée par la Poste (les PTT à l’époque) aux enfants ayant expédié leur lettre à l’adresse officielle du Père Noël*.

Cela lui valut une critique incendiaire du Docteur Herbert Le Porrier, médecin, romancier, essayiste, chroniqueur, homme de média en somme, qui ne voyait dans le Père Noël qu’un relent des tréfonds de l’inconscient occidental :

« [Le mythe du Père Noël est] l’expression d’une gérontocratie qui traîne parmi les nuisances du monde occidental. Ce petit vieux qui récompense selon les mérites est la figuration la plus évidente de la mauvaise conscience des adultes, et n’a rien à faire dans l’imaginaire des enfants où il est introduit de force. »

À la différence de sa cible, il n’enfile pas de gant. Pour lui, semez du Père Noël, vous récolterez du « Maréchal nous voilà » et du « Make America Great Again ». On ne peut pas nier qu’un vieil homme blanc qui exploite des lutins, ça fait un peu trop penser aux conseils d’administration du CAC40 et aux diverses assemblées de notre République.

Lutin défendant le Père Noël Zemmour
Certains lutins n’hésitent pas à monter au créneau pour défendre le Père Noël

Faudrait-il pour autant collectivement diversifier le mythe du Père Noël ? Peut-être. Mais une figure positive du « vieux » pourra rapidement s’avérer utile pour maintenir le lien social entre des générations de plus en plus vite aliénées par les évolutions technologiques et sociales (Rappelle-toi qu’il y a de sérieuses chances pour que tes petits enfants, si ce n’est tes enfants, vivent sur Mars et s’envoient des messages par la pensée).

*On suppose que tu découvres que le Père Noël a une adresse officielle et qu’il peut répondre. Pour en savoir plus, tu peux visiter son secrétariat en ligne. Et oui, il a ça aussi.

Le doux Père Noël de la tendre enfance

Une jolie histoire, perçue comme telle

La réponse de Françoise Dolto au Docteur Herbert Le Porrier n’a pas tardé :

« Bien sûr que les enfants ne croient plus à l’existence biologique du Père Noël, et cela dès trois ans, mais qu’est-ce que ça change ? De même qu’à quatre ans ils savent que le soleil ne se lève ni ne se couche et pourtant aiment à le voir faire cela, autant que bien des adultes. Mais voyons, croyez-vous à l’intelligence ? Moi oui, et les mythes sont pour moi des preuves de l’intelligence tolérante des enfants vis-à-vis des adultes. »

Une étude scientifique va dans le sens de ce constat de Françoise Dolto. Dès 3 ans, les enfants savent manier le « pieux mensonge ». Ils ajustent leur description de la vérité brute pour faire plaisir à leur entourage.

Ainsi, quand on leur demande de commenter un dessin piètrement réalisé, ils n’hésitent pas à multiplier les compliments quand l’auteur du dessin est dans la salle avec eux.

Un tiers utile à l’enfant ET aux parents

Les enfants prolongent l’existence du Père Noël, non seulement parce que l’histoire leur plaît, mais aussi parce qu’ils lui trouvent une utilité. Le personnage du Père Noël interposé entre les parents et l’enfant lève les inhibitions éventuelles de l’enfant, tout en facilitant l’acception des limites posées à ses exigences. « Le Père Noël ne peut pas transporter autant de choses ». « Le Père Noël ne sait pas fabriquer des iPhones ». Etc.

le Père Noël offre aussi une leçon aux parents. Même si ce sont eux qui ont trimé pour que les cadeaux soient sous le sapin, ils ne doivent en attendre ni remerciement, ni gratitude. Un sacrifice minime, mais symbolique du lâcher-prise et de l’oubli de soi qui vont de pair avec la parentalité.

Démasquer le Père Noël, un bel exercice de l’âge de raison

Un rite de passage dans le monde adulte

Quand ils arrêtent officiellement de croire au Père Noël, en général vers l’âge de 7 ans, les enfants expriment plutôt de la satisfaction. Ça y est, ils ont compris le truc. Ils rejoignent le camp de ceux qui savent, et partagent désormais la responsabilité de faire vivre le mythe auprès des plus jeunes.

Ce sont en fait les parents qui vivent le plus mal cette transition. Ils perdent un peu plus de contrôle sur l’enfant, qui se rapproche du bord du nid. « La dernière fois que je lui ai parlé du Père Noël comme une réalité » rejoint la longue liste des dernières fois de la parentalité.

Une douce introduction aux fictions sociales

Le Père Noël a beau ne pas exister « biologiquement », c’est une belle fiction sociale collectivement organisée. Non seulement les parents offrent des cadeaux, mais La Poste répond au courrier du Père Noël et l’armée de l’air américaine communique sur le fait que l’espace aérien des États Unis est ouvert à tout traîneau tiré par des rennes.

Les fictions sociales permettent aux humains de s’organiser en larges groupes. Certaines fictions sociales sont plus complexes, apparemment plus ancrées dans la réalité, comme les entreprises, les nations, les monnaies, les religions, etc.

En comprenant que, même si le Père Noël n’existe pas, l’idée du Père Noël est le moteur d’une grande journée internationale de générosité, l’enfant s’initie, au-delà du pieux mensonge, à la crédulité maîtrisée.

Je suis capable de percevoir les ficelles derrière les apparences, mais je comprends aussi que le truc ne disqualifie pas l’utilité, ou la beauté, du tour.

Cultive la magie, en toute légèreté

En définitive, il semble que le principal risque avec le Père Noël, ce serait de le prendre trop au sérieux. Amuse toi avec tes enfants à faire vivre le mythe. S’ils te posent la question directement, n’affirme pas l’existence du Père Noël, mais interroge-les en retour. Joue le jeu, mais n’hésite pas à glisser quelques indices, quelques clins d’œil. Surtout quand, entre 6 et 10 ans, il devient temps pour l’enfant de s’avouer à lui-même qu’il n’y croit plus.

Crédit Photo : Oleg Sergeichik