Les (jeunes) avocat(e)s face aux défis de la parentalité

Alors que le gouvernement envisage dans son projet de loi de financement de la sécurité sociale 2019 d’allonger le congé maternité des indépendantes, que l’on parle de réformer le congé paternité et que de plus en plus d’entreprises intègrent dans leurs accords collectifs des dispositifs variés de soutien des mères et des pères, les parents avocats seraient-ils les plus mal protégés ?

Pour faire le point sur ce sujet et entendre les propositions des différents candidats au Bâtonnat et au Conseil de l’OrdreL’ACE-JA a organisé, le 6 novembre 2018, le petit déjeuner « Jeunes avocats et parentalité« .

Ludovic Blanc, vice-Président de l’ACE-JA National, hôte de cet événement, introduit le sujet

Il y a plus de 68 000 avocats en France. 55% sont des femmes : la profession est féminisée et cette féminisation est croissante. L’âge moyen de la profession est de 44 ans. Ces premiers éléments induisent que la parentalité est au cœur des préoccupations de nombreux avocats, au premier rang desquels les plus jeunes.

Selon l’étude menée en 2017 par l’ACE et l’association MOMS À LA BARRE sur la Qualité de vie des avocats, 80% des avocates interrogées estiment que la maternité demeure un frein dans une carrière, lequel peut espérer être compensé dans les 5 années suivant la naissance/adoption (34%), dans les 10 années (22%), ou pire qu’il ne sera jamais (27%).

Une étude du barreau de Lyon ajoute qu’un tiers des avocates déclarent avoir été contraintes de changer leur plan de carrière ou d’abandonner la profession par impossibilité de concilier leur vie professionnelle et leurs responsabilités parentales. Tandis qu’aucun homme ne témoignait dans ce sens.

Le Règlement Intérieur National de la profession d’avocat permet à l’avocat collaborateur libéral de suspendre son contrat de collaboration libérale avec un principe de maintien de rétrocession d’honoraires :

  • 16 semaines pour les mères
  • 11 jours consécutifs pour les pères
  • 10 semaines pour les parents adoptifs

Le contrat de collaboration libérale apparaît ainsi plus ou moins aligné avec les droits sociaux des salariés « normaux ». Mais comment ces départs sont-ils vécus dans les cabinets où la solidarité se ressent de manière beaucoup plus « immédiate » que dans le privé ? Pour les avocates jeunes mères ? Pour les avocats jeunes papas ? Et pour leurs collaborateurs et patrons ?

Valérie Duez-Ruff, avocate et fondatrice de l’association MOMS À LA BARRE, est la première intervenante à s’exprimer sur son expérience personnelle et son engagement

Valérie réagit d’abord sur les 16 semaines de congé maternité. Elle reconnaît qu’il n’est pas facile pour les professions libérales de s’arrêter complètement pendant une telle durée. Valérie cite la proposition de Marie-Pierre Rixain, députée et chargée par le président de travailler sur ces questions : un congé « sacralisé » de 5 semaines, pour se remettre de l’accouchement et accueillir son enfant, et la possibilité, pendant le reste du congé, de reprendre progressivement son activité. Cela lui semble aller dans le bon sens.

Dans son expérience personnelle de maternité, le congé en lui-même ne s’est pas mal passé. C’est le retour au cabinet, avec les nouvelles contraintes horaires de la vie de parent, qui a été problématique. Travaillant de 9h à 19h pour récupérer son bébé à 19h30, elle subissait de la part de son patron des « ça va vite me saouler si vous ne travaillez pas plus ». Alors qu’elle savait bien qu’elle produisait un travail de quantité et de qualité égale à « avant la maternité ».

Elle finit par quitter ce cabinet et s’installer à son compte. Mais elle n’en reste pas là. Puisqu’elle n’avait trouvé personne sur qui s’appuyer dans ses difficultés, elle s’engage en créant l’association « Moms à la barre » pour favoriser l’entraide entre consoeurs enceintes et maman. Elle rejoint aussi diverses instances de pilotage de la profession et fait progresser les sujets de lutte contre la discrimination et le harcèlement chez les avocats.

Elle conclut en rappelant que le service social de l’ordre est à la disposition des avocates et avocats qui se poseraient des questions sur leurs droits en tant que parent.

Patrice Bonfy, non-avocat mais néanmoins entrepreneur, co-fondateur du média Le Paternel, second intervenant de cet événement, rebondit

Il connaît la problématique du départ « trop tôt » qui fait froncer les sourcils. Il a d’ailleurs fait le choix, dès la naissance de son premier enfant, d’organiser son agenda pour s’en occuper la plupart des soirs. Sa femme qui travaille en fond d’investissement, un autre milieu plutôt conservateur, pouvait ainsi continuer à travailler tard, et éviter de se « décrédibiliser » professionnellement.

Cela lui suffisait à se considérer comme un père exceptionnellement impliqué. Mais quand, à la naissance de son deuxième enfant, il s’est retrouvé presque par hasard en congé paternité prolongé, il a été frappé par l’ampleur de ce qu’il ignorait. Du congé lui-même, mais aussi des enseignements et réflexes qu’on peut en retirer, et donc de son impact long-terme sur le partage des tâches domestiques.

Sur la suggestion de sa femme, il raconte sur son Medium perso cette expérience de congé parental prolongé. Il poste l’article sur Facebook un vendredi après-midi. Et surprise : des milliers de visites, des centaines de réactions, mais surtout de nombreux messages d’autres pères ou futurs pères exprimant leur satisfaction de lire enfin quelque chose qui résonne avec leurs expériences ou aspirations.

En creusant le sujet, Patrice découvre que 60% des pères de la génération Y considèrent être impliqués à égalité dans les tâches parentales. Combien de mères confirment cette égale implication ? 30%… mais c’est déjà beaucoup. Et l’envie est bien présente chez les pères : ils sont ainsi 70% à regretter le manque de contenus s’adressant à eux sur internet.

Patrice décide alors avec son associé de lancer Le Paternel, média de la nouvelle génération de pères et de parents. Un magazine en ligne gratuit qui sert de laboratoire et de vitrine pour leur offre d’accompagnement des entreprises dans la gestion de la parentalité (conseil et outils). La profession d’avocat a bien raison, comme de nombreuses entreprises soucieuses de suivre les évolutions de la société, à s’interroger sur ce sujet !

Une fois ce contexte posé, nous entendons les témoignages des avocats présents et les propositions des différents candidats

Chloé Belloy (candidate au Bâtonnat avec Jean-Jacques Uettwiller)

Propose d’allonger le congé paternité à 8 semaines pour qu’il soit, pour reprendre l’expression malheureuse utilisée par certains cabinets, aussi « chiant » d’embaucher un potentiel papa qu’une potentielle maman. Prévoit de mener une réflexion sur l’assouplissement des règles de non-travail pendant le congé parental, pour permettre aux jeunes parents de rester connectés, tout en respectant la coupure nécessaire à un accueil serein de l’enfant.

Nathalie Roret (candidate au Bâtonnat avec Olivier Cousi)

Souhaite renforcer l’action du Conseil de l’Ordre sur le sujet, en contrôle et en soutien. Intransigeance vis a vis des manquements aux règles de gestion de la parentalité communément décidées. Mais également prise en compte des difficultés de gestion des congés parentaux pour les petits cabinets, et avance de trésorerie

Bénédicte Bury (candidate au Conseil de l’Ordre avec Denis Raynal)

Propose de faire de la parentalité un pilier des travaux de l’Ordre sur le bonheur au travail et l’efficacité managériale. La parentalité se prépare, personnellement et professionnellement. Pour avoir le temps d’en profiter, il est nécessaire de planifier son départ, et son retour. C’est l’occasion de repenser son modèle économique (indépendant ou en cabinet) pour plus de flexibilité et de performance. L’occasion aussi de s’approprier des outils de travail digitaux, toujours plus efficaces et adaptés.

Joël Grangé (candidat au Conseil de l’Ordre avec Laurence Krief)

Envisage de favoriser la diversité et l’égalité. Il considère que, même si le congé maternité relève d’un impératif physiologique non partagé avec les hommes, l’allongement du congé paternité serait la mesure la plus efficace pour faire évoluer les mentalités.

Stéphane Fertier (candidat au Conseil de l’Ordre avec Nathalie Ganier-Raymond)

Rappelle que le capital d’un cabinet, ce sont ses collaborateurs, leur bien-être, leur équilibre. Il souhaite voir évoluer les mentalités vers plus de transparence et de respect vis à vis des contraintes parentales, qui nous humanisent. Il envisage pour cela la mise en place au niveau de l’Ordre d’une « bourse de remplacement » (appuyé en cela par Bénédicte Bury et Nathalie Roret), et l’organisation de groupes de paroles et de partage d’expériences sur la parentalité, ce qui permettra, en outre, de resserrer les liens de la Confraternité qui est notre force.

Penser la parentalité : un chemin d’innovation

Ce petit-déjeuner l’a prouvé, la gestion de la parentalité est un beau levier de réflexion et d’action vers des avocats toujours plus connectés, heureux et productifs. Sans oublier que, comme entendu pendant le café « si notre rôle, c’est de répondre tout de suite, tout le temps, on finira battus par les robots. On doit aussi apprendre à temporiser pour valoriser le conseil, l’intelligence et la créativité qui permettent de construire une décision bien pesée. »

Crédit photo : Andrew Worley