Ludovic Baumgartner a fait vivre une grande aventure à ses enfants. Il nous raconte comment, quand on croit transmettre, on apprend encore.
C’est peut-être ça le plus beau dans la parentalité : redécouvrir le monde à travers le regard de ses enfants. Quand ils sont tout petits, tout est passionnant, étonnant, magique. Un tracteur, un avion, une abeille, ou le tonnerre. « Oh, le Père Noël est passé ! »
On pourrait croire que cela s’estompe avec l’âge. Mais pas vraiment. Si on laisse à nos plus grands enfants la liberté d’agir et de s’exprimer sur ce qu’on leur transmet, on peut se nourrir à notre tour de leurs réactions pour (re)découvrir le sens et la force qui peuvent s’émousser avec le temps et l’habitude.
Dernièrement, avec mes deux enfants Alix (14 ans) et Terence (13 ans), nous nous sommes lancé un immense défi. J’ai fait de mon mieux pour les guider sans agir à leur place, et je suis tellement fier de ce qu’ils ont accompli, que j’ai envie de le raconter. Ok ?
Paye ton projet
Août 2017. Il est 15 heures sous un soleil de plomb au cœur des Pyrénées et nous sommes en nage après avoir grimpé un col interminable. C’est la fin de 5 jours passés en montagne, tous les 3. Alix et Terence en ont profité pour me démontrer tout leur savoir-faire de scouts. Je les regarde, ils sont exténués et heureux d’être arrivés à bout de cette montée. Puis ça me vient comme une évidence. Je leur dis :
« Les Amours, je suis fier de vous ! Sincèrement vous m’avez bluffé. Alors, l’été prochain on part en Himalaya, au Népal, et on se fait un sommet à 5 416 mètres d’altitude ! »
La flamme qui se met à danser dans leurs yeux est magique. « Ah ouaiiiiiiiiiis ! »
Je continue sur ma lancée : « On va donner du sens à ce voyage. On va monter une fondation et vous allez lever de l’argent pour aider l’école de Khorla, qui se trouve au nord de Katmandou. »
Un récent voyage au Népal m’a touché. J’ai envie de faire vivre cette expérience à mes enfants, de leur faire rencontrer, et aider, l’une des belles personnes dont j’ai fait la connaissance là-bas. Elle s’appelle Sita Gurun et dirige une école avec très peu de moyens.
En quelques minutes nous avons démarré un projet extraordinaire qui a rythmé toute une année, avec à la clé un magnifique voyage.
Tout le monde en parle
Avec un projet comme ça, les sujets de discussion ne risquent plus de manquer.
« Ça peut vraiment changer quelque chose d’apporter un peu d’argent à cette école népalaise ? Il faudra quel matériel pour l’ascension ? C’est quoi le but d’une école en vrai ? À partir de quelle altitude il faut de l’oxygène ? On peut parler anglais là-bas ? »
Je m’occupe de l’organisation du voyage et de l’ascension, et j’adore leurs questions et leurs idées. L’anticipation de grimper un sommet à plus de 5 000 mètres d’altitude de l’autre côté de la planète suffit à les impliquer.
Quant à l’objectif caritatif que l’on s’est fixé, ça c’est leur responsabilité. Naturellement, il faut se poser et réfléchir : « Pourquoi cette école a besoin d’aide ? Sous quelle forme est-ce que l’on peut leur apporter ? Comment réunir ce dont ils ont besoin ? »
Sans le projet, nous n’aurions jamais eu une telle profondeur d’échange sur des sujets comme l’école, la liberté, la guerre, le futur de notre planète. D’autant qu’on ne discutait pas que pour le plaisir de parler. Il nous fallait bâtir un plan d’action, une histoire à laquelle nos futurs sponsors pourraient adhérer, des contenus pour le site web de la fondation, une présentation à montrer aux entreprises !
Qu’est-ce qu’on va leur raconter ? Notre nom de code : « éduquer pour la liberté ».
Un pitch dans ta potch
Je ne sais pas si, sans ce contexte, j’aurais pu motiver mes enfants à étudier avec moi comment faire un bon « pitch ». Mais, là, la question d’en avoir envie ou non ne se posait même pas. On en avait besoin.
Nous avons même analysé quelques vidéos TED, pour disséquer la structure d’une belle présentation, repérer les ressorts d’une histoire qui « claque » et qui incite à l’action.
Une fois les slides prêts, il a encore fallu s’entraîner à les présenter. À 2. « C’est votre projet ». Crises de fou rire, vexation, réglages, « Mais c’est moi là qui doit parler ! », prises de tête et « J’en ai marre ». Puis, au final, une répétition parfaite la veille de leur première (re)présentation !
Nous avons rendez-vous à 11h. Je vais les chercher à l’école (absence autorisée) et nous nous rendons dans les bureaux d’une entreprise que je connais bien et qui a accepté de les rencontrer. Je me sens comme un coach sportif qui motive ses joueurs avant le match du siècle.
Terence est super concentré et Alix me dit à l’oreille « Papa, je vais faire un AVC ! » Je rigole avec eux ! Nous entrons dans la salle de réunion pour démarrer la présentation. La discussion démarre. Les slides défilent. Alix et Terence réalisent un duo digne d’une Keynote Apple (je rappelle que je suis leur papa, je n’ai donc aucune objectivité !).
Nos interlocuteurs ont l’air touchés. Ils posent quelques questions, et félicitent les enfants. On saura dans l’après-midi si, et combien, ils investissent.
En rentrant de l’école, Alix et Terence me sautent dessus. « ALORS ?! ». C’est oui. Et la participation de cette entreprise couvre déjà une bonne part de notre objectif. On fête le succès de leur travail au Champomy.
Quand faut y aller
Les quelques jours qui précèdent le départ sont occupés à vérifier les documents nécessaires au voyage, à regrouper les fournitures scolaires que nous avons acheté, les médicaments collectés depuis 6 mois, et bien sûr à retirer en liquide l’argent collecté. Nous changerons sur place les 2 500€ de dons car le système bancaire népalais reste très limité.
La veille de partir, nous nous mettons à douter ! De tout. « Qu’est-ce qu’on va faire là-bas ? On n’a pas collecté assez d’argent, on va être ridicules. 3 semaines c’est long. Et on est sûr d’avoir envie de faire un trek à 5400 mètres d’altitude ? »
Puis c’est le départ. Métro place d’Italie. Décollage de Charles de Gaulle. Une escale nocturne à Doha. Finalement nous atterrissons au Népal, à l’aéroport de Tribhuvan. Katmandou est rincée par la mousson. On retrouve Binaya, avec qui je m’étais lié d’amitié lors de mon passage il y a 3 ans. Il nous réserve un accueil joyeux et nous nous dirigeons vers le quartier de Thamel. Un endroit insolite et magique que j’aime terriblement !
Faire découvrir un lieu qu’on aime à ses enfants, c’est encore mieux que de le voir pour la première fois.
Cérémonie du don
Rendez-vous demain à 4h du matin pour entamer les 2 jours de jeep qui nous permettront de rejoindre le district de Gorka, puis le village de Khorla. Mais la mousson nous impose l’humilité. Il est 3h du matin et le chauffeur nous montre sur Facebook les photos des routes ravagées par des glissements de terrain. Même lui a peur de perdre sa Jeep. C’est dire le danger.
Dès le lendemain, nous établissons tous les 3 notre cellule de crise pour trouver une solution. Mais la météo ne fait que s’aggraver et nous arrivons à la conclusion qu’à moins d’y aller en hélicoptère, Khorla restera inaccessible. Les fonds que nous avons levés sont destinés à l’école, pas à nous transporter. Alors nous décidons de remettre nos dons à Rabina, professeur de l’école de Khorla, qui sera notre « représentante officielle » ici à Katmandou.

Rabina se prête avec enthousiasme à l’exercice et commence par bénir Alix et Terence d’une marque rouge sur le front. On lui remet les 50 boîtes de médicaments, les 500 articles scolaires. Puis Rabina bénit les 300 000 roupies avant de les recevoir. J’observe la scène avec fierté. Les professeurs et les élèves de Khorla vont recevoir plus que de l’argent. Ils vont recevoir de la reconnaissance. D’autres enfants qu’ils ne connaissent pas ont pensé à eux.
Chanter la vie, danser la vie
Première mission accomplie. J’ai une surprise pour les enfants : je les emmène en boîte. Oui, à 13 et 14 ans, loin de Paris, on brave les interdits en écoutant de la musique live en club avec papa et, surtout, on trinque en pensant à maman !
Remis de cette grosse soirée, nous passons à la seconde partie de notre mission : 10 jours de trek dans les Annapurnas et passage du col de Thorung-La Pass à 5 416 mètres d’altitude. On l’a voulu, et on l’a fait. Extraordinaire. Mais ce trek est une autre histoire.
J’ai initié ce projet pour essayer de transmettre à mes enfants le message suivant : « N’attendez pas d’être adultes pour changer le monde ; votre vie sera ce que vous oserez en faire ». Résultat : ils m’ont impressionné et, à les regarder oser, moi qui pensais transmettre, j’ai redécouvert que tout était encore vraiment possible.
Par Ludovic Baumgartner, rédacteur invité Ludovic est consultant en digitalisation dans l'agence Hannibal Digital qu'il a créée. Il n'est pas exactement génération Y, mais il est jeune dans sa tête et avec ses 2 enfants de 13 et 14 ans.
Tu souhaites devenir rédacteur (ou rédactrice) invité(e) ? Parlons-en !